mercredi, mai 28, 2008

Tout passe.

Elle dit j’pourrais bien vous cracher ma solitude dans les yeux mais elle dit j’vous connais, chez vous l’insolence ça se supporte mal. Elle dit j’vous comprends mais elle veut parler elle dit la sensation d’abandon d’abandon généralisé vous connaissez point d’interrogation. On la voit qui se crispe elle continue un jour on m’apprendra à regarder devant moi quand je marche, elle a toujours pas compris qu’il vaudrait mieux qu’elle apprenne toute seule, devant elle quand elle marche, devant moi quand je marche, docile, utile, elle dit. Elle crie mais si vous savez bien tout rentrera dans l’ordre à l’instant même où, à l’instant même où je n’aurai plus besoin qu’on s’occupe de moi. Cet instant là n’existe pas, et rien n’existe dans tout ça elle griffe les visages translucides elle, continue. Elle dit je n’existe pas je ne suis pas vraiment là elle dit, ni dans leurs yeux ni ailleurs. J’pourrais bien vous dire comme je rêve de leurs bras autour des miens j’pourrais bien mais non vous savez bien, elle dit la solitude ne s’apprend pas elle s’accompagne. Elle dit calmez-vous regardez-moi je n’ai rien à cracher vous savez. Elle dit je ravale l’amertume en silence, la solitude là-bas au fond, elle ravale l’amertume elle dit tout ira mieux. Elle parle, ça va passer, ça va passer vous savez, elle dit ça va passer mais ses yeux crient regardez-moi.

jeudi, mai 15, 2008

On raconte des vies, II.

Il marche. La nuit refuse de tomber, la nuit s’est retardée, retardée comme sa montre celle qu’il a arrêté de remonter. Il n’a pas le temps de compter. La nuit crie capricieuse il marche les yeux mi-clos pour imaginer qu’elle est, là. La nuit.

Il marche les poings serrés les lèvres crispées sur le temps qui passe, il regarde les femmes sans les voir. Le vent fait trembler ses cils et glace ses joues déjà figées. Le vent souffle et c’est, la mer, dit-il. S’il parle s’il murmure c’est pour se souvenir qu’il est encore vivant.

S’il plante ses ongles dans la paume abîmée de sa main, s’il attend la douleur c’est pour, vérifier, vérifier et continuer, on pense. Il marche lentement, il a peur de, non, il n’a peur de rien, il mesure les minutes et vérifie sa vie. Classique. Les femmes le regardent sans le voir.

Il murmure ses absentes à chaque pas. Il chuchote le nom de celles dont il a brûlé les yeux au hasard d’un, pont, au hasard d’un port. Il marche et la nuit se vengerait-elle, la nuit ne tombe pas la nuit ne cache rien. Ses gestes froids, ses mots désarticulés rayonnent, résonnent, en attendant que la nuit dissimule.

Une fois de plus. Le vieux marin ne sait plus regarder le temps qui passe, il marche et il murmure, le vieux marin ne cesse, de fermer les yeux sur l’absence.

dimanche, mai 04, 2008

On raconte des vies.

Le vieux marin a enlevé sa casquette, et s’est assis sans faire de bruit. Il n’est pas si vieux, le vieux marin. Ses cheveux ne sont pas encore tous blancs, on dirait qu’il les retient de toutes ses forces, on dirait que ce sont la dernière preuve de sa relative jeunesse. Le vieux marin a le visage marqué, abîmé, creusé.

Ses yeux verts ne sont que deux lueurs au milieu de ce masque, de ce masque hâlé, décomposé. Le vieux marin a la voix rauque et parle tout bas, une bière, il s’est assis sans faire de bruit. A la table du fond, celle qui n’est presque pas éclairée. Il s’est assis à la table du fond. Il préfère le noir, le noir plutôt que la lumière artificielle.

Il a enlevé sa casquette et les rides au coin de ses yeux rappellent la fatigue, la sienne, lourde, impossible à cacher. Le vieux marin n’a pas fini de s’abîmer, il pose ses deux poings sur la petite table en bois, ses deux poings bien serrés, de peur de se brûler. Sa peau semble détruite, martelée, des éclats de verre au creux des joues ou, simplement, tout ce qu’il a laissé passer.

Le vieux marin cache derrière ses yeux brillants le regard le plus, triste, on le regarde, on le plaint. Il ne le sait pas. Il boit, une bière, sa voix rauque et presque, timide, sa voix rauque ne cesse d’en redemander. On le fait répéter, souvent, les mêmes mots, le même rythme, le vieux marin ne connaît plus ce port, il a hésité avant d'enlever, sa casquette.

En entrant il a hésité, et ses yeux continuent de briller. Il ne pense pas au jour où ses yeux s’éteindront, il ne pense pas au jour où il aura cessé de croire. Ravagé, délavé, il attend. Il attend, remet sa casquette et dans un murmure commande une dernière bière.

Il ne reviendra pas ici. Sans faire de bruit, les poings serrés, il s’en va. Le vieux marin ne se retourne pas, il baisse la tête, son visage s’abîme un peu plus. Il ne se retourne pas, et personne ne le regarde vraiment.